Quand l'amour du beau resonne avec l'amour du vivant

Un espace brut, défraîchi, une nouvelle garde de designers engagé.e.s, une scénographie qui révèle frugalement la beauté du lieu et les projets qui y sont présentés...

Assiette partiellement sablée, Lucie Ponard

Tous les éléments sont au diapason pour cette première biennale AMOUR VIVANT autour de la création "soutenable". Même le choix des mots. Alors que l'on aurait pu emprunter les mots "durable" et de "responsable", il est ici question de soutenir le vivant, d'en comprendre la logique et d'en défendre la valeur intrinsèque.  

Fondée par l'Association pour un Design Soutenable, cette biennale "d'écologie culturelle" a vu le jour grâce à sa fondatrice et commissaire, Hélène Aguilar, ainsi qu'à ses deux co-fondatrices Marie-Cassandre Bultheel et Armelle Lalo. AMOUR VIVANT est né du succès de l'exposition FRUGAL, en 2021, qui présentait les nouveaux talents en matière de design vertueux et soutenable.

Aperçu de la scénographie de Laurence Falzon avec Studio Ad Hoc

Dès l'arrivée, dans la cour de ce vaste immeuble appartenant à la Poste, les visiteurs sont invités à tendre l'oreille pour écouter le vivant grâce à des interprétations musicales "retranscrites" à partir de l'activité des végétaux, composant des sonorités uniques.

Puis direction le 5e étage en montant un escalier où, sur 2 paliers, le travail photographique de J.P. Mesguen et S. Mostefaoui capture l'essence des projets de réhabilitation de l'agence PCA-STREAM.

Cette démarche vient nous questionner sur la richesse et l'abondance de ce qui est déjà là au travers de quelques clichés de lieux en friche. Une réflexion s'amorce alors avec ces simples mots FAIRE AVEC ce qui est DÉJÀ LÀ. Ces lieux que l'on réhabilite ont encore tant à offrir : des matériaux en pagaille mais aussi une histoire, la leur et celle leurs habitant.e.s. On entre littéralement dans ces photos, comme si on entrait dans une pièce. On saisit l'abondance de ces matériaux bruts qui au lieu d'achever leur vie dans une déchetterie peuvent encore servir à d'autres constructions.

Jean-Philippe Mesguen & Salem Mostefaoui pour PCA-STREAM

 


En haut des marches, une longue galerie où flâner et découvrir des projets aussi passionnants les uns que les autres.

Après le passage dans  la boîte à intentions de Marie-Cassandre Bultheel, écrivaine et co-fondatrice de la biennale, qui exprime les voeux pour un futur souhaitable, les travaux des designers se succèdent, offrant chacun une solution, une interprétation, une hybridation singulière entre beau et soutenable.

Quelques morceaux choisis : 

Les tissages poétiques de Jessica Ulvé - réalisés avec des aiguilles de pin et d'autres fibres végétales, glanées à même le sol. Tous les éléments qu'elle récolte, en fonction des saisons, sont transformés, tisssés et teints artisanalement. Ses oeuvres aériennes, capturent un peu de nature avant qu'elle ne s'enroule dans la boucle inéluctable de la biodégradation.

Jessica Ulvé

Le travail de la designer-chercheuse Lucie Ponard qui puise des ressources insoupçonnées dans des terres d'excavation (granit, ardoise, brique, etc.) et à partir desquelles elle crée des faïences aux émaux magnétiques. Ou encore son intervention sur des objets anciens qu'elle a chiné, puis retravaillés, dont la surface sablée laisse apparaitre un autre graphisme.

Les travaux d'émail de Lucie Ponard

La prouesse technique d'Amandine Antunez qui a réussi à créer un stuc avec une réduction de 30% de consommation de plâtre, des colorants naturels issus de baies, d'écorces, ou encore de plantes fraîches, sans fixateurs, ni de sels d'alun, mais également moins de colle pour la prise. Les couleurs se fixent d'elles-même en se diluant de manière aléatoire dans la matière, créant des vénures et des effets uniques.

Amandine Antunez, Atelier AM

L'innovation de l'agence Hors Studio qui transforme littéralement "le cuir en pierre" avec le Leatherstone : un matériau réalisé à partir de chutes de cuir réduites en poussière, aglomérées avec un liant naturel, séchées à l'air libre, sans cuisson. Il devient aussi dur que de la pierre et peut être moulé, soit en plaque, soit en 3D pour la création d'objets. Ici une étagère crée en collaboration avec Raul de la Cerda, présentée à la Design Week de Mexico.

Hors Studio x Raul de la Cerda
 

Puis, entre deux créations, la Fresque sur les leçons du vivant de Pierre Gilbert, prospectiviste et spécialiste du bio et géo-mimétisme. Avec la simple constatation que "Nous ne savons pas que nous ne savons rien", tout est dit, tout est questionné. Une leçon de sagesse et d'humilité qui inspire une meilleure connexion aux savoirs, à la croisée des sciences et de la nature.

Fresque du vivant, textes : Pierre Gilbert, illustrations : Lola Stuff, mise en image : Antoine Zybura

Cette biennale qui se veut un évènement culturel et pédagogique n'est ni une foire, ni un salon. L'entrée est gratuite, accessible à tous.tes. Tout comme la plupart des conférences qui ont lieu, tous les jours. 

Déambulant d'un projet à l'autre dans cet espace éphémère, touchant tous ces matériaux hybrides qui créent des passerelles entre un monde saturé de déchets et de nouvelles possibilités circulaires, c'est l'optimisme et la joie du beau qui priment. Avec la certitude que la création peut esquisser des solutions viables et soutenables.

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