L'ART DE LA REPARATION TEXTILE, UN SAVOIR-FAIRE D'UTILITÉ PUBLIQUE
Considérer la réparation comme un métier d'art, au même titre que l'artisanat, tel a été un des passionnants sujets lors de la conférence "MEND & REUSE", qui a récemment eu lieu à l'IFM dans le cadre de son Séminaire des savoir-faire de la mode.
Issues d'horizons différents, 3 femmes aux profils aussi variés qu'enrichissants sont venues partager une vision singulière de la réparation, entre raccommodage et restauration, en s'appuyant sur des savoir-faire traditionnels ainsi que sur l'idée de transmission.
Celia Pym, une artiste designer anglaise dont l'approche sensible de la réparation rend chacune de ses interventions très touchante, dit à propos de sa pratique :
"Dans le textile, réparer ce qui a été porté et déchiré, dont les tissus se sont affinés ou accidentellement déchirés, se construit sur l'existant, solidifiant les fils et les filaments en tissus solides et en remplissant les trous, ou encore en renforçant les parties vulnérables."
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Le livre de Celia Pym, "On Mending", 2022 |
Dans chacun des récits qu'elle partage, il est souvent question de rapiécer des souvenirs, en même temps que l'objet abîmé, en rendant hommage à celui ou celle qui a porté le vêtement. Les trous, les usures, sont une trace du passé et l'idée est d'en préserver la mémoire. Son intervention réparatrice se veut visible sur chacune des pièces qu'elle retouche pour que les vides soient toujours là, bien présents, mais dans une version améliorée, augmentée. Comme une broderie qui viendrait poser une valeur ajoutée émotionnelle à l'objet abimé.
Elle nous a raconté l'émouvante histoire du pull de son oncle, tricoté par son épouse, dont les traces d'usure sur les avant-bras révélaient des gestes répétés pendant de longues heures passées à peindre dans son atelier. En blanc apparaissent les premières réparations de son épouse et en bleu celle de Celia.
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Roly’s sweater, pull tricoté et rapiécé par Elizabeth Cobb avec une réparation additionnelle en fil de laine bleu, 67 x 81cm, 2007, Celia Pym |
Son travail résonne avec le questionnement qui est le nôtre à l'époque de la mode "jetable". Epoque où, faute d'attention et de savoir-faire, au lieu d'être réparés, les vêtements sont aussitôt remplacés.
Dans son ouvrage "On Mending, Stories of Damage and Repair" il y a une histoire qui accompagne chacun des objets réparés, car il y en a toujours une.
L'attachement aux vêtements que l'on porte jusqu'à l'usure, car ils sont comme une seconde peau, mérite toute notre précieuse attention. Celia, qui a également été nurse dans un hospice, connaît intimement cette prévenance et ces gestes qui réparent.
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Mended Brown Cardigan, 2023, Celia Pym |
Quand elle aborde un nouveau projet de raccommodage, elle prend la pièce dans ses mains, la tourne à l'envers, puis à l'endroit, et avec tous ses sens, elle entre littéralement en contact avec cette deuxième peau. Elle scrute les micro détails décelant les réparation antérieures, les parties vulnérables et celles qui ont déjà lâché.
Ces vêtements portés maintes fois gardent l'empreinte des corps. Les coudes et les genoux marquent inlassablement nos vêtements qui ne peuvent résister aux lois de l'usure.
Parce que savoir réparer et rapiécer permet de rallonger la vie d'un vêtement, les techniques traditionnelles de ces travaux d'aiguille faisaient partie de l'éducation des jeunes filles au XIXe siècle. Aude Barthe-Monié, qui prépare sa thèse sur les "Pratiques de réparation et de réemploi des vêtements en France et au Royaume Uni de 1850 à 1914" nous a présenté le fruit de ses recherches ainsi qu'un impressionnant inventaire des techniques qui se transmettaient de génération en génération, souvent entre femmes. L'ensemble des points, assimilés aux travaux de broderie, sont illustrés dans des sortes de catalogues, comme des grimoires prêts à contrer tous les sortilèges de l'usure à la déchirure.
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Extrait d'un livre d'échantillons illustrant le travail d'aiguille, issu de la présentation d'Aude Barthe-Monié |
Véritable science domestique destinée à optimiser la gestion et l'économie du foyer, l'idée est de "faire durer" les vêtements autant que possible pour éviter toute nouvelle dépense. Le presse féminine qui nait avec la révolution industrielle, regorge d'informations et de modes d'emploi illustrés répondant ainsi à un besoin bien réel des ménages de l'époque... Un vrai point de réflexion pour la presse contemporaine !
Hisser le geste de "ravaudage" au rang de métier d'art, est une évidence quand on observe le fascinant parcours et l'expertise de Stéphanie Ovide, restauratrice textile et chercheuse, qui a récemment soutenu la thèse de doctorat, "Restauration des nouvelles matières de la mode au sein des collections de la maison Balenciaga au XXIe siècle, nécessité d'une recherche par la pratique de la restauration textile".
Parce que la restauration suit une déontologie bien précise dont "La théorie de la restauration" de Cesare Brandi, publiée en 1963, est la pierre angulaire, les gestes d'intervention doivent respecter la création d'origine et sa lisibilité, mais également être réversibles, compatibles et stables dans le temps.
Il s'agit de considérer le vêtement dans sa dimension philosophique et matérielle. D'une part le respect du travail artistique et d'autre part la préservation matérielle de l'objet, en respectant sa nature première soumise aux lois du temps et à sa dégradabilité.
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Stéphanie Ovide oeuvrant sur une robe d'archive |
Les gestes de conservation préventive évitent, ou ralentissent, l'emprise du temps et des éléments sur les pièces d'archive. D'ailleurs Stéphanie Ovide raconte que quand les designers du studio de création se rendent dans le département d'archives, source intarissable d'inspiration, parés de gants blancs avant la moindre manipulation, le temps se fige et la frénésie du studio s'évanouit. L'observation, la précaution sont de rigueur. Les gestes sont millimétrés, délicats, preque sacrés.
Le trait d'union des partages de chacun des 3 intervenantes est sans aucun doute le soin apporté au vêtement, considéré comme un objet aux multiples valeurs (émotionnelle, artistique, pécunière).
Un geste plein de noblesse qui consiste à prendre soin, à réparer, à rallonger la vie d'un habit.
Un geste qui a longtemps été un réflexe, une habitude, et qui fait aujourd'hui puissamment écho au projet "Bonus Réparation" piloté par
Refashion pensé pour inciter à préserver durablement notre garde-robe.
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