La Mode, année zéro
Janvier 2020 Vogue Italia prenait l'initiative inédite de proposer une couverture sans photographies, en choisissant de mettre en avant le travail d'artistes et d'illustrateurs. Venise était sous l'eau, les forêts australiennes en feu et le changement climatique au centre de tous les débats. L'idée était de montrer combien la créativité peut remplacer de coûteux shootings aux quatre coins du globe, mais également de révéler comment la rupture d'un système génère une nouvelle inventivité.
3 mois après, le monde s'est arrêté de fonctionner, du moins, économiquement et socialement. Prise de vues impossibles, boutiques fermées, salons et défilés annulés... Et Vogue Italia prend le parti, à nouveau, de la remise en question en publiant une très symbolique "page blanche". Son directeur artistique, Ferdinando Verderi s'en explique ainsi: "Dans les moments que nous vivons, nous avons pensé qu'une couverture silencieuse en dirait plus que n'importe quel mot ou image".*
La page blanche, ou le "reset" nécessaire à cet univers qui n'est plus tellement en phase avec le monde.
Alors que l'eco-responsabilité devenait le sujet central de toutes les marques, parfois même instrumentalisé à la faveur d'un complaisant discours marketing, le monde de la mode s'arrête de tourner pour de bon. La page blanche devient alors la page vierge qui appelle une réflexion profonde. En faisant silence, d'abord, comme le prône Verderi: en hommage à la gravité de la situation, à celles et ceux qui sont au front ou qui sont isolés dans leur propre drame: personnel, familial ou économique. Cette lente infusion doit avoir lieu, avant même de penser à rebondir, en prenant de la distance, en remettant au centre du système des valeurs essentielles, dans l'intransigeance et la nécessité, en recréant du lien humain les uns avec les autres.
Cette année zéro, telle que je la perçois, c'est l'année où les défilés prévus n'auront pas lieu, où les salons de nouvelles matières ne se tiendront pas, où les carnets de commandes ont arrêté de se remplir, où les usines au Bangladesh se retrouvent avec des factures impayées sur les bras. Même si à l'heure où j'écris ces lignes nous ne connaissons pas la fin de l'histoire et que probablement le planning recommencera à se remplir avant la fin de l'année... Ici et maintenant, les compteurs sont à zéro.
Ce qui ne s'arrête pas néanmoins, c'est notre capacité à réfléchir, à créer. Et cette parenthèse, ce temps suspendu, est une opportunité nécessaire pour amorcer l'esquisse d'un nouveau système alors que l'on savait déjà tous bien que l'ancien était obsolète. Au fond, il ne pouvait y avoir qu'un évènement majeur et global pour obliger l'industrie à se remettre en question. Nous flirtions déjà avec une catastrophe climatique, et c'est finalement la pandemie qui nous oblige à faire face à nos propres responsabilités.
Alors la page vierge est, à mes yeux, la meilleure invitation possible pour réinventer le monde de demain. Comme toute page blanche, elle suscite à la fois angoisse et enthousiasme.
*Ferdinando Verderi, "Vogue Italia di aprile, perchè la copertina bianca?", 7 avril 2020:
https://www.vogue.it/moda/article/vogue-italia-aprile-copertina-bianca
*A écouter aussi:
l'éditorial de Emanuele Farneti, rédacteur de chef de Vogue Italia
https://www.spreaker.com/episode/25124557?utm_medium=widget&utm_term=episode_title&utm_source=user%3A11188668
3 mois après, le monde s'est arrêté de fonctionner, du moins, économiquement et socialement. Prise de vues impossibles, boutiques fermées, salons et défilés annulés... Et Vogue Italia prend le parti, à nouveau, de la remise en question en publiant une très symbolique "page blanche". Son directeur artistique, Ferdinando Verderi s'en explique ainsi: "Dans les moments que nous vivons, nous avons pensé qu'une couverture silencieuse en dirait plus que n'importe quel mot ou image".*
La page blanche, ou le "reset" nécessaire à cet univers qui n'est plus tellement en phase avec le monde.
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Couverture du Vogue Italia, avril 2020 |
Alors que l'eco-responsabilité devenait le sujet central de toutes les marques, parfois même instrumentalisé à la faveur d'un complaisant discours marketing, le monde de la mode s'arrête de tourner pour de bon. La page blanche devient alors la page vierge qui appelle une réflexion profonde. En faisant silence, d'abord, comme le prône Verderi: en hommage à la gravité de la situation, à celles et ceux qui sont au front ou qui sont isolés dans leur propre drame: personnel, familial ou économique. Cette lente infusion doit avoir lieu, avant même de penser à rebondir, en prenant de la distance, en remettant au centre du système des valeurs essentielles, dans l'intransigeance et la nécessité, en recréant du lien humain les uns avec les autres.
Cette année zéro, telle que je la perçois, c'est l'année où les défilés prévus n'auront pas lieu, où les salons de nouvelles matières ne se tiendront pas, où les carnets de commandes ont arrêté de se remplir, où les usines au Bangladesh se retrouvent avec des factures impayées sur les bras. Même si à l'heure où j'écris ces lignes nous ne connaissons pas la fin de l'histoire et que probablement le planning recommencera à se remplir avant la fin de l'année... Ici et maintenant, les compteurs sont à zéro.
Ce qui ne s'arrête pas néanmoins, c'est notre capacité à réfléchir, à créer. Et cette parenthèse, ce temps suspendu, est une opportunité nécessaire pour amorcer l'esquisse d'un nouveau système alors que l'on savait déjà tous bien que l'ancien était obsolète. Au fond, il ne pouvait y avoir qu'un évènement majeur et global pour obliger l'industrie à se remettre en question. Nous flirtions déjà avec une catastrophe climatique, et c'est finalement la pandemie qui nous oblige à faire face à nos propres responsabilités.
Alors la page vierge est, à mes yeux, la meilleure invitation possible pour réinventer le monde de demain. Comme toute page blanche, elle suscite à la fois angoisse et enthousiasme.
*Ferdinando Verderi, "Vogue Italia di aprile, perchè la copertina bianca?", 7 avril 2020:
https://www.vogue.it/moda/article/vogue-italia-aprile-copertina-bianca
*A écouter aussi:
l'éditorial de Emanuele Farneti, rédacteur de chef de Vogue Italia
https://www.spreaker.com/episode/25124557?utm_medium=widget&utm_term=episode_title&utm_source=user%3A11188668
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Emanuele Farneti, Rédacteur en chef, Vogue Italia, image: @DSL Studio |
FASHION, ZERO YEAR
ENGLISH VERSION
Last January, Vogue Italia took the
unprecedented initiative to propose a front cover without any picture, by
choosing instead to highlight illustrators & artists artwork. Venice was
underwater, Australian forests on fire and climate change was at the forefront
of the debates. The purpose was to show how much creativity can replace some
expensive and far away photo shoots,
but also to reveal how breaking a system can give rise to a new inventiveness.
3 month later, the world stood still, financially and socially. Impossible shootings, closed shops,
exhibitions and fashion weeks cancelled…And Vogue Italia stands up once again
publishing a very symbolic « white page » cover. Its artistic
director, Ferdinando Verderi explains his point of view : « In the
time we are living in, we thought that a silent cover would say much more that any
word or image ». *
The white page, the « reset button »... So much needed for the world of fashion which is not so much in tune anymore with the time.
While sustainability was becoming the main
issue for all brands, becoming also as a complacent marketing tool, the fashion
world stopped turning for good. The white page becomes then the virgin page
suggesting further reflections. First, in silence, as Verderi argues : a
tribute to the seriousness of the situation, to those who are serving on
the front lines or the isolated
ones within their own drama : personal, familial or economical. This slow
brewing must take place, even before to start thinking about the next move, watching
the bigger picture and putting essential values in the main place, with
inflexibility and necessity, creating new human bonding.
This « zero year », as I can see it,
is the year when the fashion shows will not take place, the fabric
exhibitions won’t happen, the orderbooks stop getting filled and the
Bangladesh factories remains with overdue bills. Even if, while I am writing
these lines we don’t know the end of the story and if probably the planning
will start to get full again before the end of the year…Here and now, we are
facing a blank slate.
What doesn’t stop, it’s our capacity to think,
to create. And this parenthesis, this suspended time, is a much needed opportunity
to initiate the outline of a new system while we knew that the old one was
obsolete. Fundamentally, there could only be a major and global event to force
the industry reassessment. We were already flirting with a climate catastrophe,
it’s finally a pandemia that makes us meet our reponsabilities.
So the virgin page, to me, is the best
invitation ever to redesign the world of tomorrow. As all the white pages, it
raises overwhelming feelings but also renewed enthousiasm.
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